propos de Marcel Légaut tenus au Mas de Roubiac (34270 Cazevieille), en octobre 1985, transmis par Michel Dubois, et publiés par Antoine Girin dans le bulletin Quelques nouvelles n° 243, avril 2011.
Dès le début, nous [ndlr - Marcel Légaut et ses amis] avons été une Église fondée sur une doctrine, pas sur une personne ! Tout cela est extrêmement difficile à dire, mais il est important de le dire. Dans le groupe, ces temps-ci, quand nous avons des prêtres, nous commençons par un partage à partir de la lecture de l'Évangile ensuite on ne lit pas du tout préface ni autre ; nous communions au pain et au vin et puis nous disons le Notre Père ; ça dure une demi-heure, trois quarts d'heure, pas plus. Enfin quand les chrétiens se rassemblent à deux ou trois en Son Nom, ils ne perdent pas leur temps.
Cependant, il est beaucoup plus facile de faire cela convenablement, dans un petit groupe qui se connaît stablement. Dans une communauté de foi, il serait tout à fait normal que, quand vous vous réunissez à quelques-uns, ici, même s'il n'y a pas de prêtre, vous ayez vraiment en vous l'impression de faire Eglise. Dans une communauté de base humaine, les grands évènements de la vie d'un membre de la communauté sont des évènements qui portent écho dans chacun des membres, pour leur propre histoire. Cela donne une certaine dimension sacramentelle qui aide celui qui se trouve atteint dans sa propre vie spirituelle. Le sacrement n'est pas autre chose que l'activité d'une communauté de foi, qui actualise dans une direction précise, pour un membre donné, une présence de Jésus qui existe dans la communauté de foi, par le fait même qu'ils sont rassemblés en Son Nom.
Autrefois ce que l'on donnait à l'homme, on l'enlevait à Dieu ; aujourd'hui, ce que l'on donne aux chrétiens, on l'enlève aux prêtres parce que la notion de prêtre aujourd'hui est extrêmement liée à la notion de pouvoir. À mon sens, le prêtre doit viser à l'originalité la plus discrète parce que là où l'Esprit agit, l'Eglise existe.
A la fin des premiers siècles, là où l'Evêque est, l'Eglise existe. C'est toute la différence : d'un côté une Eglise charismatique (au sens excessif du mot) et malgré tout spirituelle, de l'autre une Eglise organisée autour du pouvoir. Dès la fin du premier siècle, Ignace d'Antioche et Clément de Rome sont les théologiens et l'évêque est celui qui reçoit les pouvoirs des apôtres, qui eux sont censés avoir reçu les pouvoirs de Jésus.
Il est bien évident qu'il y aura besoin d'une certaine hiérarchie, c'est indispensable, mais lui donner un caractère absolu, comme nous voyons maintenant, c'est là qu'à mon sens se trouve la difficulté majeure. Pour cela la célébration me paraît importante car cela déplace le pouvoir d'un seul sur le pouvoir d'un certain nombre et ça a été un bénéfice considérable pour les communautés religieuses, quand elles ont pu concélébrer : quand nos carmélites (ndlr - allusion à une communauté locale fréquentée par Marcel Légaut et ses amis] pourront concélébrer, elles n'auront plus besoin d'avoir des prêtres pour célébrer leur messe.
A mon point de vue, il est tout à fait normal quand des chrétiens se réunissent en Son Nom, qu'ils puissent actualiser un des moments solennels où se récapitule toute la vie de Jésus et de ses disciples. Soyons modeste, commençons par prendre conscience quand on se réunit plusieurs en Son Nom, qu'il y a quelque chose qui se passe en nous, qui justifie toutes les difficultés et les sacrifices qu'il faut faire pour que les réunions soient possibles. Prenons cela comme point de départ et le reste viendra par surcroît.
Le point de vue de Pierre Goudreault, prêtre dans le diocèse de Rouyn Noranda au Québec, docteur en théologie de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, et auteur de "Chemins d'espérance pour l'avenir de l'Église - Perspectives pastorales et enjeux ecclésiologiques" (édité par Lumen Vitae en janvier 2011, dans la collection "pédagogie pastorale", 349 p.), sur l'oeuvre de Marcel Légaut ; c.r. d'Antoine Girin
" Je demeure très attentif à la pensée de Marcel Légaut (1900-1990), écrit l'auteur pages 59-60, un Français et un témoin des profonds changements du monde et de l'Église au cours du XX° siècle. Père de famille, professeur d'université devenu berger et spirituel, il est aussi un penseur qui a beaucoup réfléchi sur la situation de l'Église en Occident, notamment en France. Il l'a fait à partir de ce qu'il vivait dans sa petite communauté de foi autour d'un partage d'évangile où il découvrait avec ses amis une nouvelle manière d'être Église.
J'ai été passionné par son œuvre au point d'en faire l'objet de ma thèse en théologie. Par sa vie, son témoignage de foi et ses écrits, j'ai appris de Marcel Légaut l'espérance en des temps de crises. Il souhaitait que l'Église se libère de ses peurs pour être davantage à la rencontre du monde d'aujourd'hui. "Il y a en moi, écrit-il, une espérance qui, tout en ne se fondant sur aucun espoir, se refuse à toute désespérance au sujet de l'avenir du monde. Ce temps, le nôtre, il l'entrevoyait comme une chance pour l'Église, afin d'être source d'espérance dans le monde d'aujourd'hui. L'Église est celle qui espère parce qu'elle est celle qui se souvient. Son origine affirme sa fin. Les temps s'approchent où elle sera, plus qu'elle ne l'a jamais été, la source de l'espérance. L'espérance des chrétiens - celle des disciples de Jésus - au sujet de l'avenir reste intacte, même dans les temps actuels où leur Église leur paraît particulièrement déficiente et faire eau de toutes parts. Cependant, sa forme future leur reste entièrement cachée et relève de la foi nue et de l'espérance dépouillée de tout espoir ". (…)
Marcel Légaut, un pionnier des petites communautés de foi : Pierre Goudreault en un long paragraphe (p. 153-155) écrit :
Marcel Légaut, un homme de foi passionné par le présent et l'avenir de l'Église a vécu l'expérience d'une petite communauté à partir des années 1920. Il se situe parmi les pionniers qui ont réfléchi d'une façon originale sur ce renouveau communautaire, plus précisément sur les petites communautés de foi qui visent à redonner une vitalité spirituelle insoupçonnée pour innover avec sagesse sans trahir la mission. Elles sont «le nouveau tissu de l'Église» qui, elle, est appelée à changer : je suis persuadé que, sans bruit, sans éclat, bien des choses auront profondément changé dans l'Église sous l'action discrète et même seulement grâce à la présence [...] de ces petites communautés. Légaut entrevoit qu'une mutation en profondeur est nécessaire. Cette entreprise se réalise dans la mesure où l'Église fait l'expérience de «la naissance de nombreuses communautés de foi, diverses comme sont les hommes, mais unies dans la charité qui naît de l'intelligence de la vie Jésus et de la foi en lui qui en découle».
Pour mieux apprécier le fait que les petites communautés ouvrent un chemin d'avenir pour l'Église, il importe de comprendre la notion de «communauté». Dans une perspective ecclésiale, Légaut arrive à décrire le mot «communauté» en ces termes : Une communauté est un ensemble d'êtres qui sont suffisamment fidèles, les uns aux autres, à ce qu'ils doivent être pour avoir chacun le sens de la fidélité de l'autre et pour découvrir, dans la communion entre eux, la possibilité d'être encore plus fidèles. La communauté est chrétienne quand elle n'est plus seulement fondée sur une doctrine, mais sur l'intelligence de l'humanité de Jésus. Cette compréhension en profondeur [ ... ] rend manifeste entre nous et lui la transcendance que nous ne pouvons pas préciser davantage sans la limiter, et donc sans la blasphémer ". (…)
En 2000, Pierre Goudreault a publié sa thèse sur Marcel Légaut "L'Eglise de demain dans l'œuvre de Marcel Légaut. Les communautés de foi", ce qui lui a valu le prix du livre religieux 2000, attribué par l'organisme Communications et Société.
Il a publié en septembre 2003 un appel au culte dominical même s'il n'y a pas de prêtre intitulé : " Célébrer le dimanche en attente d'eucharistie " (chez Novalis, 176 p.).
Au Québec, un rituel a été établi pour aider les laïcs à célébrer en l'absence d'un prêtre (du fait de la raréfication des prêtres). Les laïcs catholiques n'ont pas le droit de célébrer l'eucharistie, mais ils peuvent distribuer des hosties déjà consacrées et organiser la prière de l'assemblée (ce sont les ADACE dans le vocabulaire du Québec) ... à défaut d'une concélébration par eux-mêmes !
Puis, en décembre 2006 (chez Novalis, avec un livre de 162 p.) : "Faire Eglise autrement", à partir des communautés de base
Des personnes se sentent en confiance les unes avec les autres. Elles trouvent un lieu qui leur permet d'accompagner leur processus de guérison, de partager leur foi, de méditer la parole de Dieu, d'œuvrer à un engagement social ou de vivre un temps de formation. Ces personnes tentent de mettre en pratique l'Evangile dans le concret de leur quotidien. Loin d'être des nids douillets, ces petits groupes sont des tremplins qui relancent leurs membres pour mieux participer à la mission de l'Eglise.
Dans Faire Eglise autrement, Pierre Goudreault identifie les diverses caractéristiques du petit groupe dans l'Eglise. Il passe en revue plusieurs catégories possibles de petits groupes et propose de nombreuses pistes concrètes pour aider les personnes qui souhaitent débuter un petit groupe dans l'Eglise et soutenir son développement. (présentation de l'éditeur)
Les livres de Pierre Goudreault sont en vente en ligne et peuvent être achetés en euros sur le site Decitre (lien)
Pour qu'une communauté chrétienne soit réelle, selon Légaut, il importe qu'elle favorise la proximité, c'est à dire qu'elle demeure petite. L'apport des petites communautés, pour Pierre Goudreault, ne fait pas de doute et il écrit : En Amérique, en Europe et en Afrique, les expériences du terrain montrent que des petites communautés de proximité surgissent avec dynamisme et transforment la manière d'être Église… L'auteur cite Yves Burdelot et son livre "Devenir humain" - La proposition chrétienne, aujourd'hui… Pierre Goudreault rappelle Medellin (1968), Puebla (1979), l'importance des communautés de base pour lutter contre la pauvreté et les injustices en Amérique Latine et l'urgence, pour l'Église, d'oser l'avenir (Antoine Girin).
ndlr - Mais comment relier ces communautés de base aux paroisses où le prêtre représente le pouvoir épiscopal qui est censé rassembler ... mais aussi surveiller (au sens grec de episcope), et de là au diocèse ? Ces communautés de base trouveront-elles les ressources humaines locales pour grandir, se renouveller, essaimer, favoriser en leur sein la montée des nouvelles générations et leur assurer la formation nécessaire, durer dans le temps ? C'est cette articulation entre communautés de base et Eglise épiscopale (au niveau diocésain) qui justifie le classement de cet article dans notre rubrique "le christianisme épiscopal" (lien).