Une Eglise catholique sans pape ? par Eduardo Hoornaert, traduit en français par Alder Calado (catholique brésilien), diffusé dans le réseau IMWAC (International Movement We Are Church ; en France NSAE : Nous sommes aussi l'Eglise), et diffusé au sein du groupe des correspondants de la Fédération des réseaux du Parvis par Didier Vanhoutte le 28 février 2013.
Ce texte, motivé par la démission de Benoît XVI annoncée le 11 février 2013, fait un historique de l'institution épiscopale et de la papauté ; il se termine par le souhait que les conférences épiscopales régionales puissent avoir davantage d'autonomie .. peut-être jusqu'à atténuer (voir rendre caduc ?) un pouvoir central que certains jugent excessif. Nous en publions de larges extraits dans notre rubrique consacrée au christianisme épiscopal.
1. La papauté
La papauté est une réalité qui ne fait pas partie des origines du christianisme ; le terme « pape », n'apparaît pas dans les écrits du Nouveau Testament. Le verset de l'évangile de Matthieu « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église »: (16, 18), est traditionnellement évoqué pour légitimer la papauté. Il convient cependant de rappeler que l'exégèse actuelle ne cesse de dire que l'on ne peut isoler un texte littéraire de son ensemble et d’en faire un oracle. C’est ce qui se produit avec ce verset. Mais quand on lit les textes des évangiles dans leur entièreté, on comprend sans difficulté qu'il est absurde de penser que Jésus ait prévu une dynastie apostolique du genre corporatif, avec la succession du pouvoir par transmission rituelle. L’expression « tu es Pierre » n'a rien à voir avec l'institution de la papauté. Notre lecture habituelle provient des écrits de l’évêque Eusèbe de Césarée, théoricien de la politique universaliste de l'empereur Constantin, au IVe siècle. Il a entrepris de composer des listes d’évêques successifs (succession apostolique) pour les principales villes de l’empire romain, souvent sans vérifier l'exactitude des données historiques qu’il propose. Son intention était d’adapter le christianisme au système romain de gouvernement. Eusèbe est à l’origine de l'image : ‘Pierre-pape’.
Aujourd’hui, les historiens regardent dans une autre direction et étudient l’émergence de la papauté dans l’optique de la religiosité populaire. Ainsi le mot « pape » (pope), qui provient du grec populaire du IIIe siècle et est un terme dérivé du mot grec « pater » (père), exprime l'affection que les chrétiens cultivaient pour certains évêques ou prêtres. Le terme est entré dans le vocabulaire des Eglises orthodoxes et catholiques. Dans la Russie traditionnelle de nos jours, le pasteur de la communauté est appelé « pope ». Les documents nous montrent que le premier évêque à être appelé « pape » a été Cyprien, évêque de Carthage entre 248 et 258, et que le terme n'est apparu que tardivement dans les écrits de Rome. En effet, le premier évêque de Rome à recevoir officiellement le titre de « pape » est Jean I, au VIe siècle.
2. L'épiscopat
Par contre, l'institution épiscopale a de solides racines dans les écrits du nouveau testament. Le terme « évêque » (« surveillant ») se réfère à une fonction du système juif des synagogues et se retrouve à plusieurs reprises dans les textes chrétiens (1 Timothée 3, 1-2 ; Titus 1, 7 ; 1 Pierre 2 et à 20, 25, 29). Dans les synagogues juives, l' « episcopos » était responsable du bon ordre des réunions. C’est pourquoi, les premières communautés chrétiennes ont adopté et adapté le nom et la fonction : episcopos.
3. La lutte pour l’hégémonie
Au IIIe siècle s’est déclenchée, entre les évêques des quatre principales villes de l'Empire romain (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Rome), une lutte à répétition autour de la suprématie du pouvoir. Cette lutte a été particulièrement dramatique dans la partie orientale de l'Empire, où l’on parlait la langue grecque. Les évêques en litige étaient appelés « patriarches », un terme qui associe le grec « pater » avec le pouvoir politique (« arché », qui, en grec signifie « pouvoir »). Le patriarche est en même temps père et dirigeant politique. Au début, Rome n'a pas joué un rôle important dans ce conflit, car la ville était située loin des grands centres du pouvoir et on y parlait le latin, une langue moins universelle qui était utilisée uniquement dans l'administration et dans l'armée de l’empire romain. Jérusalem, ville ‘bercail’ du mouvement chrétien, était également hors concours, étant une ville de peu d'importance politique.
Malgré tout, Rome est parvenu à s´imposer dans la région occidentale de l'empire romain. [A Carthage], l’évêque Cyprien, déjà cité, a réagi énergiquement aux prétentions hégémoniques de l'évêque de Rome et insistait : il y a parmi les évêques une "égalité complète de fonctions et de pouvoir". Mais le cours de l'histoire fut impitoyable. Les patriarches de Rome ont réussi à étendre leur autorité se distançant toujours plus de leurs collègues orientaux, surtout après l'alliance conclue avec la puissance germanique qui était en plein essor (Charlemagne, 800). Les relations avec les patriarches de l'Est (en particulier avec le patriarche de Constantinople) devenaient toujours plus tendues jusqu'à la rupture en 1054. Ici commence l'histoire de l'Eglise catholique romaine proprement dite.
4. La force de la papauté
Ayant le contrôle des affaires en Occident, Rome met en œuvre «l´art de la cour», qu’elle a apprise au contact des usages en vogue à Constantinople. Depuis lors, quasi tous les gouvernements de l´Europe occidentale ont appris à Rome (ou de Rome) l´art de la diplomatie. Il s´agit d´un art peu édifiant, qui implique l´hypocrisie, l’art des apparences, des habiletés dans les rapports avec le peuple : l´impunité, le secret gardé, le langage codifié (inaccessible aux fidèles), le rôle de l’affectif dans la piété, la cruauté enrobée d’un voile de charité; l’accumulation de ressources financières, d’ indulgences; la menace de l´enfer, la pastorale de la peur, etc. L’ «Histoire criminelle du christianisme» (en 10 volumes), que l´historien K. Deschner vient de terminer, décrit en détails cet art papal par excellence.
C’est notamment grâce à cet art diplomatique que le pape est parvenu à accumuler des réussites énormes, au cours du Moyen âge. Rome a su faire face, avec succès, aux plus grandes puissances de l´époque (Canossa, 1077). Ce qui a eu pour effet qu’elle a été affectée, d´après l´expression de l’historien Toynbee, de «l´ivresse de la victoire». Le pape perd graduellement le contact avec la réalité et commence à vivre dans un monde irréel, où des expressions surnaturelles (que personne ne comprend) font nombre. Comme l´a bien remarqué Ivone Gebara, quelques-unes de ces expressions restent en vigueur aujourd’hui, par exemple, lorsqu’on dit que l´Esprit Saint est à l’œuvre dans l’élection du prochain pape. [...]
5. Aujourd´hui, la papauté est un problème
[...] En Amérique latine, on a eu récemment, outre les évêques-martyrs Romero et Angelelli, une génération d´évêques exceptionnels (entre les années 1960 et 1990). Voulant renforcer le pouvoir épiscopal vis-à-vis du pouvoir papal, le concilie Vatican II a avancé l´idée de la collégialité épiscopale, sans récolter beaucoup de succès jusqu’à maintenant. Mais on continue à dire que le catholicisme est plus important que le pape et que les valeurs diffusées par le catholicisme sont plus importantes que l'actuel système du gouvernement de l’Eglise catholique.
6. L´Eglise catholique peut-elle survivre sans pape ?
[...] En général, on observe aujourd’hui un mouvement vers plus de démocratie et de participation sociale. Tôt ou tard, l´Eglise catholique devra faire face à la question de la papauté et penser un système de gouvernement central plus en consonnance avec les aspirations des générations qui se succèdent. Cependant, les moyens de communication de masse peuvent faire obstacle ; le succès énorme qu’ils ont emmagasiné, il y a quelques années, lors des transmissions autour de la mort et de la sépulture du pape Jean-Paul II ont appris que l’image du pape ‘se vend bien’.
Et, malgré tout, une nouvelle ère pointe à l’horizon. J’apporte ici deux exemples récents d’évêques qui ont compris le problème et se sont manifestés. Peu de gens savent qu’autour des années 1980, le cardinal Aloisio Lorscheider a discuté avec le pape Jean Paul II au sujet de la décentralisation du gouvernement de l´église catholique, mais il n’existe pas d´écrit ni d’enregistrement photographique de cette discussion. Il semble que le pape s’est montré ouvert aux suggestions du cardinal brésilien, puisqu’on peut lire dans son encyclique «ut unum sint» qu’il se montre conscient du problème. Ce point est commenté par Joseph Comblin dans un de ses derniers textes, intitulé «Problèmes de gouvernement dans l’Eglise » (voir sur internet). Je pense que le pape Jean Paul II n´a pas avancé dans ce domaine parce qu´il ne percevait pas, dans l´église, un réel mouvement vers la décentralisation. S’il est ainsi, il paraît clair, que le problème provient de l’image de la papauté crée et soutenue par la culture dominante.
Un exemple très différent, mais qui va dans le même sens, vient d’un autre évêque brésilien, Helder Câmara. Arrivé à Rome pour participer au concile Vatican II, il s’étonne devant le comportement des évêques de la ‘cour romaine’, au point d´en avoir des hallucinations, comme il raconte dans ses «lettres circulaires». Une fois, à l'occasion d´une session dans la basilique de saint Pierre, il ‘voit’ l´empereur Constantin envahir l´église au galop, sur son cheval. Une autre fois, il rêve que le pape est devenu fou et qu’il jette sa tiare dans le Tibre et met le feu au Vatican. Dans des conversations privées, Don Helder disait que le pape ferait bien de vendre le Vatican à l´Unesco et de louer un appartement au centre de Rome. J´ai pu vérifier personnellement, en différentes occasions, que Monseigneur Helder Câmara détestait le "sigile papal", l'un des instruments du pouvoir romain). En même temps, l’évêque de Récife entretenait une sincère amitié avec le pape Paul VI, ce qui montre, que le problème n´est pas la personne du pape, mais plutôt la papauté en tant qu´institution.