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10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 11:54

Michel Jas : Vers « l’Apocalypse » ? Le feu et le déplacement, communication faite aux rencontres la rencontre des Compagnons de Partage (lien) sur le thème " L’Humanité face aux temps " à Ventenac-Cabardés (Domaine La Ventaillole), dans l'Aude, avec une cinquantaine de participants, ce samedi 22 septembre 2012. Ce texte, à l'initiative des organisateurs, est disponible en version pdf et imprimable (lien). Michel Jas a dédié sa communication à son compagnon de l'ERF, le pasteur Roger Parmentier, qui venait de décéder (lien).

 

Résumé de l'auteur présenté sur le site des organisateurs (lien) : La fin des Temps est marquée par le feu destructeur - l’incendie qui fait peur, purificateur - qui nettoie une plaie alors que la médecine était rudimentaire, ou qui prépare un autre monde - par la cuisson, l’Antiquité était marquée par la cuisson de la viande sacrifiée comme acte liturgique qu’on a du mal aujourd’hui à comprendre. L’idée de feu évoque l’épreuve et le jugement.. « Dieu est un feu » dit la Bible et avant elle les religions de l’Antiquité. Dans le Nouveau Testament l’apocalyptique réactive le mythologique. Nous évoquerons dans notre réflexion les éléments communs au symbolique de son époque, mais aussi les déplacements et transformations opérés par le message des évangiles comme annonce prophétique…

 

apocalypse14 enluminure medieval

l'Agneau de Dieu sur le mont Sion, Apocalypse, chapitre 14

le texte :


Le Nouveau Testament a été écrit dans le contexte d’une attente eschatologique très intense. Cette espérance, en tension, ou cette crainte était tournée vers l’accomplissement des prophéties et le jugement de ce monde par l’autre monde qui allait opérer un basculement incroyable. L’eschatologie, qui fut contemporaine de la période perse, s’était exprimée dans l’Ancien Testament à la fin de l’époque des prophètes et dans le Livre de Daniel ; cette veine se développe à l’époque intertestamentaire, particulièrement chez les esséniens de Qumrân (cf. leur livre de la guerre des Fils de lumière contre les Fils des ténèbres, etc...)

Jésus, un prophète


L’événement évangélique avec Jésus de Nazareth et ses disciples doit être situé dans ce contexte de l'attente du Royaume de Dieu et du (ou des) Messie(s). Jésus demande à ses disciples d’aller deux par deux (avec les sandales, pas d’habits de rechange, pas d’argent et avec un bâton c'est-à-dire en tenue de pèlerin, mais cette fois-ci sans partir vers le temple de Jérusalem) pour proclamer l’imminence du Royaume, chez les uns et les autres, dans les villes et bourgades de « Galil » (« pays des nations ») ou « Galilée ».. « Vous n’aurez pas fini le tour des villes de Galilée, que le Fils de l’Homme sera venu » (Mathieu 10, 23)… Comme si Jésus attendait la manifestation du « Fils de l’Homme » comme un Messie distinct de lui-même, de façon imminente. Ce passage doit être mis en relation avec Marc 9, 1 : « Quelques uns qui sont ici ne mourront pas qu’ils n’aient vu le Royaume de Dieu venir avec puissance », et Marc 13, 30 : « Je vous le dis en vérité cette génération ne passera pas que tout cela arrive ».

 

Marc est un évangile avec une forte dimension apocalyptique (les exégètes présentent Marc 13 comme une « apocalypse synoptique »), « Mathieu propre » aussi est de sensibilité apocalyptico-eschatologique..! L’épisode de Mathieu 10 est compris dans la source dite « Mathieu propre », distincte de la source commune à Mathieu et Luc (source dite des Logia, ou source Q, antérieure à Mathieu et Luc, lien), qui est moins apocalyptique, comme « Luc propre », qui intériorise plus : voir Luc 17, 27 : « On ne dira pas il est ici, il est là.  Car voici, le royaume de Dieu est au dedans de vous », ou comme l’Evangile de Jean ou l’Evangile gnostique et apocryphe de Thomas (Thomas, logion 3 : « le royaume est à l’intérieur et à l’extérieur de vous») !

Le langage apocalyptique


Autre exemple de cette attente apocalyptique pleine d’ardeur (de « feu »), dans l’écriture de la fin de « Mathieu propre » (Mathieu 27, 52) , le jour de la crucifixion et avant la résurrection : « Et voici le voile du Temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas (passage qui marque la fin de la séparation entre le sacré et le profane), la terre trembla, les rochers se fendirent, les sépulcres s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent ». Voilà qui ajoute miracle à miracle comme si le miracle du Christ le jour de Pâques n’était pas le premier et ne suffisait pas ! En réalité, le passage rend compte de plusieurs visions apocalyptiques d’Isaïe, d’Ezéchiel ou de Daniel pour désigner de façon spectaculaire le ou les Temps de la fin ..


La fin des Temps est marquée par « le feu » destructeur - l’incendie qui fait peur, le feu purificateur - qui nettoie une plaie alors que la médecine était rudimentaire, ou qui prépare un autre monde, parce que le feu brûle, détruit, transforme.  L’idée « de feu » évoque l’épreuve et le jugement, mais aussi la transformation dans les forges ou lors de la cuisson (la cuisson a un rôle important lors des sacrifices). Jésus a dit (dans Luc 12, 42 qui correspondrait, pourtant, à la source Q, souvent moins apocalyptique que Marc ou Mathieu propre) : « Je suis venu mettre un feu sur la terre ». Dans l’Ancien Testament, Dieu est un feu ; et, aussi, dans nombre de religions de l’Antiquité (de l’Egypte avec Aton, à la Perse avec Ahura Mazda). Le feu est une énergie et une menace (dans toutes les religions, l’idée de Dieu concerne la vie et la mort, nos joies et nos peurs). Moïse a peur de mourir, lors de la révélation (catastrophiste, sauvage ou apocalyptique) du Dieu Yahvé dans le Sinaï…
 

Le feu et le déplacement.
La révélation comme porteuse de grâce et de paix

 

Le terme « apocalypse » vient du mot grec pour « révélation » ou « manifestation ». Normalement la révélation biblique et évangélique permet de calmer toutes les peurs. L’Ancien Testament s’inscrit autour du salut hors d’Egypte. Le Nouveau Testament autour de la paix du ressuscité (à la fin de l’évangile) ou transfiguré (en plein coeur de l’évangile). Normalement, en tant qu’ « évangile », c'est-à-dire : « bonne nouvelle », justement, le Nouveau Testament permet d’éteindre la colère de Dieu, et de « désapocalyptiser » (dans le sens commun : apocalypse = catastrophe) la foi !


Dans la rédaction des épîtres de Paul nous observons un changement qui révèle cette atténuation apocalyptique. Ses premières épîtres (1 et 2 Thessaloniciens) sont focalisées sur l’attente de la fin des Temps et le jugement divin, comme devant arriver, spatialement, du vivant de l’Apôtre : Christ est venu dans l’humilité, il reviendra dans la gloire. Or, dix ans après, Paul évolue ! Il change de représentation théologique lors de ses dernières épîtres (Galates, Philippiens, Colossiens, Ephésiens) : la manifestation de Dieu en Christ n’est plus visible, temporelle, matérielle, mais spirituelle. Et c’est la vie mystique, dès ici bas, « en Christ » qui motive désormais l’Apôtre, alors qu’il souffre d’incompréhensions dans ses communautés, souffre de maladie, et de la prison à Rome …


La même évolution se trouve, sans doute, lors des strates successives accompagnant la rédaction des évangiles : de « Mathieu-propre » et « proto-Marc », et Marc, à « Luc-propre » et l’Evangile de Jean, puis l’Evangile de Thomas en passant par les logia (source Q) et les évangiles synoptiques (Mathieu, Marc, Luc) dans leur rédaction actuelle. Mais cette reconstruction historique devrait aujourd’hui tenir compte des variations manuscrites expliquées par les corpus évangéliques anciens ; affaire de manuscrrits. La disposition des évangiles dans un tout (un corpus)  influe aussi sur la symétrie des textes et le choix des mots qui varient d’un texte à l’autre.

 

Note :sur « LES EVANGILES SYNOPTIQUES » dans l'article de Wikipedia consacré à Christian Bernard Amphoux (lien).
¼ de Mathieu propre (propre à Mathieu) + ¼ de Mathieu provenant de Quelle (source « Q » - « Quelle » - des logia ou des paroles) + ½ de Mathieu pris à Marc + ¼ de Luc provenant de Quelle (source des logia) + 1 /4 de Luc pris dans Marc + ½ de Luc qui lui est propre (et qui annonce peut être Jean). La théorie des sources évangéliques devraient aujourd’hui tenir compte des travaux sur les manuscrits anciens (et non à partir du texte grec reconstitué, des éditions imprimées), particulièrement les travaux de Christian-Bernard Amphoux sur le Codex de Bèze (manuscrit pris par les Genevois dans la bibliothèque remontant à Saint-Irénée à Lyon) qui présente le corpus des évangiles dans un ordre différent ; donc ce qui explique certaines variantes (et complexifie par des symétries insoupçonnées une théorie des sources donc à reprendre). Le codex de Bèze correspondrait, selon Amphoux, à l’édition des évangiles, datant de 120, à Smyrne. Avec cet ordre : Mathieu-Jean-Luc-Marc ! 

 

L’évolution opérée par l’Evangile n’est pas toujours manifeste et directement efficace :
- l’Eglise post-apostolique gardera encore l’idée du retour apocalyptique du Christ (avec le Jugement dernier et, pour certains, le règne de 1 000 ans), à côté de son accomplissement dans l’humilité du Jésus de l’histoire, comme si l’Incarnation ne suffisait pas…
- la nouveauté issue de Jésus, autre exemple, concernant l’égalité homme - femme (discernable dans l’épisode de Marthe et Marie en Luc 10, 38-42 où Marthe reproche à sa sœur d’être « assise aux pieds du Seigneur » c'est-à-dire de prendre le statut de l’homme en devenant disciple et où, justement, Jésus félicite Marie ), n’influence pas totalement le déroulement historique : la charge d’être disciple puis apôtre restera confiée aux hommes..

Malgré l’enveloppe grandiose ou naïve, l’écriture biblique sécularise ou conteste la religion. Mais il n’empêche que ce déplacement (qui annonce, par exemple, la libération de la femme particulièrement avec la vision du ressuscité confié à des femmes, dont le témoignage n’avait aucune valeur à l’époque, ni chez les juifs ni chez les romains) peut souvent être noté comme un ferment qui ne fait pas encore lever toute la pâte, ou comme un trésor encore caché dans un champ.  Ici, Jésus, citant l’Ancien Testament, change le terme de Deutéronome 6, 13 « tu craindras » en « tu adoreras » en Mathieu 4, 10 ou Luc 4, 8.. L’adoration comprend l’idée d’amour, mais garde de la compréhension du Deutéronome le sentiment que l’objet de cet amour est infiniment élevé au dessus de toute compréhension. L’adoration garde le respect, le sentiment d’altérité, mais ôte la peur ! Là, Jésus dé-hiérarchise la foi : « Les premiers seront les derniers et les derniers, premiers » et : « Celui qui accueille en mon nom un petit m’accueille moi-même et celui qui m’a envoyé » (Marc 10, 31 et 37 et parallèles). Formidable déplacements pour lesquels il est impossible de s’arrêter. Jésus dé-hiérarchise Dieu et le monde, toutes les grandeurs du monde, politiques et religieuses, ainsi que les visualisations pour l’attente de la fin du monde….


Cette nouveauté n’est pas seulement la veine de l’évangile mais elle peut être discernée aussi déjà dans l’Ancien Testament ! Par exemple avec le symbolisme induit par Exode 3, 2. La tradition retient le miraculeux (le buisson ne brûle pas !), qui n’a de valeur que pour essayer d’impressionner les lecteurs crédules. En fait l’ordre des mots indique plutôt, premièrement, « un feu » (qui représente Dieu) et deuxièmement, un feu « traversé par un buisson » c'est-à-dire : Dieu souffre (« j’ai vu la souffrance de mon peuple » v. 7).
 

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