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26 juillet 2011 2 26 /07 /juillet /2011 15:03

"Un hymne du christianisme primitif à Iéshoua' cité par Paul (Ph 2,6-11)", par Jean-Claude Barbier, publié dans Approches unitariennes, n° 49, printemps 2002


La Lettre aux Philippiens est datée vers 57 ou encore vers 62 (selon la Bible de Jérusalem). Par son contenu et son style, elle est considérée comme effectivement paulinienne. Rien ne nous permet de mettre en doute son entrée : "Paulos et Timotheos, les serviteurs du messie Iéshoua', à tous les hommes consacrés qui sont à Philippes, dans le messie Iéshoua', à leurs préposés et à leurs assistants, grâce à vous et paix venant d'Elohîm, notre père, et de l'Adôn Iéshoua', le messie" (1,1).


Paul s'adresse à Dieu et à Iéshoua d'une façon différente : élevé après sa Passion au-dessus de toutes les nations, conformément à la prophétie du Serviteur souffrant, le messie est dorénavant à "la droite du Père" – de nature humaine glorifiée par la résurrection, dorénavant avec le Père, mais sans s'y confondre, dans le Royaume promis. Or, dans l'épître aux Philippiens, un passage détonne par rapport à cette façon paulinienne de distinguer l'adoration de Dieu et celle de Iéshoua. Il s'agit du chapitre 2, verset 6 à 11, où se profile une affirmation  pré-trinitaire puisque Iéshoua' serait Dieu. La traduction d'André Chouraqui donne le texte suivant pour le verset 2,6 "lui (le messie Iéshoua), qui subsistant en forme d'Elohîm, n'a pas estimé [comme] un butin le fait d'être égal à Elohîm".. Le reste du passage est tout à fait conforme à la christologie paulinienne : "afin que toute langue atteste que l'Adôn est Iéshoua', le messie pour la gloire d'Elohîm, le père" (2,11).


Bible de Jérusalem (revue et corrigée, 1998) / Bible de Chouraqui (1982-1985)
6 - Lui qui est de condition divine n'a pas revendiqué son droit d'être traité comme l'égal de Dieu/ / lui, qui subsistant en forme d'Elohîm n'a pas estimé un butin le fait d'être égal à Elohîm
7 - mais il s'est dépouillé prenant la condition d'esclave. Devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme / mais il s'est vidé lui-même, pour prendre forme d'esclave, devenant la réplique des hommes, et, par l'aspect, trouvé comme un homme.
8 – il s'est abaissé devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix / .Il s'est humilié lui-même, devenant soumis jusqu'à la mort, et même à la mort de la croix.
9 – C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom / C'est pourquoi Elohîm l'a surexalté et gratifié du nom au-dessus de tout nom,
10 - afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux sur la terre et sous la terre / pour qu'au nom de Iéshoua' tout genoux plie, dans les ciels, sur la terre et sous la glèbe,
11 - et que toute langue proclame que le SEIGNEUR c'est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père. / afin que toute langue atteste que l'Adôn est Iéshoua', le messie, pour la gloire d'Elohîm, le père.

 
Il s'agit en fait, non d'un texte de Paul, mais d'une citation. On y voit volontiers – nous dit la Bible de Jérusalem – un hymne chrétien ancien. Iéshoua déjà divinisé au milieu du 1er siècle ! Avant que les théologiens ne s'emparent de la soit disant nature divine du Messie, la dévotion populaire allait sans doute déjà bon train, bien au-delà du Jésus historique, s'accompagnant très (trop) souvent de surenchères ! On sait que, peu soucieuse de précision, elle adopte le langage fusionnel des ferveurs. Mais on doit cependant reconnaître le caractère travaillé du passage cité – pas si populaire que cela ! - ; et le fait qu'il soit reçu par Paul, dont on connaît la grande rigueur de vocabulaire, incite à en faire une exégèse pointue.


La Bible de Jérusalem (1956) précise en note "Littéralement, 'Lui qui se trouvait dans la forme de Dieu', où le mot forme désigne les attributs essentiels qui manifestent en dehors la "nature" : le Christ, étant Dieu, en avait de droit toutes les prérogatives". La Bible de Chouraqui (1985) fait preuve de plus de prudence dans sa note explicative : "Ce poème à la gloire de Iéshoua' revêt une importance théologique essentielle … Egal à Elohîm voir Jn 5,18 . Le mot grec isos a été diversement interprété par les théologiens. Ceux-ci relient l'idée qu'il exprime à l'affirmation de la Genèse selon laquelle l'homme a été créé à la réplique d'Elohîm (Gn 1,27). Pour éclairer le sens de ce terme, notons que dans les LXX [Septantes] isos traduit des mots hébreux différents, qui peuvent signifier : être un, être associé à, être à la réplique de, dans la fraternité de, dans la plénitude de, à l'exemple de, en forme de, adéquat à. Toutes ces significations doivent être retenues pour une exégèse complète de ces versets fondamentaux de toute théologie chrétienne".


André Gounelle, dont nous avons sollicité l'avis sur ce passage , considère que "les exégètes 'traditionnels' ont beaucoup tordu ce texte pour y trouver les doctrines orthodoxes des deux natures et de la Trinité". Pour lui, bien que "ce texte témoigne d'une christologie "haute" qui donne une grande importance au Christ", il ne faut pas lui faire dire plus qu'il ne dit : "Dit-il [ce texte] que Christ est - ou était - Dieu avant son incarnation ? Je ne le pense pas : il n'est pas divin, il est "en morphé théou", mot à mot "dans la forme" qui désigne la ressemblance; il n'est pas l'égal de Dieu, puisqu'on le loue de n'avoir pas considéré cette égalité comme une "proie à arracher" (preuve qu'il ne la possédait pas). Pour moi, ce texte se réfère au début de la Genèse : le "morphé théou" évoque l'image de Dieu (Dieu crée Adam à son image et à sa ressemblance) ; et "proie à arracher d'être l'égal de Dieu" renvoie à la parole du serpent tentateur : "vous serez comme des dieux". Si ma lecture est bonne, Jésus serait ainsi le nouvel Adam (l'homme véritable) : image de Dieu, comme le premier, mais en s'en distinguant en ce qu'il résiste à la tentation d'être comme un Dieu. Dans ce texte, ce qui légitime la piété, la dévotion envers Jésus, c'est qu'il refuse de se faire Dieu - et que lorsqu'on le nomme seigneur (v. 11), ce n'est pas à sa gloire, mais à la gloire du Père".


Par ailleurs, A. Gounelle prend soin de distinguer les expressions ternaires : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, de la Trinité proprement dite : "Au sens strict, la Trinité est la doctrine qui dit que Dieu est une substance ou une essence en trois personnes, le Père, le Fils, et l'Esprit. Il n'est question, dans ce texte, ni de substance ni d'essence, ni de personnes, ni de l'Esprit et je conteste qu'il soit trinitaire (de même la formule ternaire "le Père, le Fils et l'Esprit" de la finale de Matthieu  n'est pas trinitaire - elle ne parle pas d'un Dieu en trois personnes - mais ternaire)". Je retiens pour ma part cette affirmation ternaire du milieu du Ier siècle et, en plus, le frémissement, au niveau d'un piétisme, d'une tendance à diviniser le Messie qui s'épanouira plus tard dans le dogme trinitaire.


Alors pourquoi Paul a-t-il repris à son compte l'expression d'un hymne qui dépassait manifestement sa pensée habituelle concernant le messie Iéshoua' ? Faut-il cependant tirer des conséquences théologiques d'un texte isolé ? Le fondamentalisme qui pioche des versets ici et là pour monter un argumentaire n'est plus de mise dans les milieux scientifiques. L'analyse d'une pensée s'appuie sur des répétitions, sur des convergences, sur une évolution des thèmes traités, etc. Les formulations dogmatiques se sont trop acharnées sur certains passages, en voulant leur faire dire une préfiguration des vérités d'Eglise. Le texte que nous venons de citer est ainsi fréquemment utilisé comme un argument polémique par les chrétiens qui défendent le dogme trinitaire. Que les dogmatiques aient le courage de leurs opinions et ne s'abritent plus derrière les Ecritures ! Nous savons que Ièshoua de Nazareth, lui, ne faisait pas partie des dogmatiques de son époque. Il en fut même la victime.


Jesus-smiling.pngPar ailleurs, je pense qu'aujourd'hui l'unitarisme n'est pas obligé de relancer des considérations métaphysiques sur la nature du Christ. Les chrétiens en ont trop soufferts. Nous ne sommes plus au temps des guerres de religion. Il suffit de savoir que le Christ est au milieu de nous lorsque nous sommes réunis en son nom, tout simplement. Par contre, l'unitarisme peut répondre à tous ceux que les dogmes empêchent de croire ; je pense notamment aux jeunes qui n'ont pas eu la culture confessionnelle que nous avons pu avoir.

 

Jésus "smilling" (souriant) : une représentation plutôt rare dans l'iconographie chrétienne ! Sans doute en provenance des témoins de Jéhovah ou bien inspirée d'eux.

 

L'adhésion à la personne de Ièshoua' et notre foi en un Dieu créateur devraient-ils dépendre de systèmes de croyances ? J'adhère à Ièshoua' non pas pour ses idées ou sa théologie, mais pour sa façon d'être, son amour des autres, sa spiritualité. Pour admirer la Création et rendre grâce à Dieu en toute chose, je n'ai nullement besoin des théologiens, ni de mystères ! L'unitarisme consiste entre autres à se dépouiller de vêtements encombrants, non essentiels … mais si quelqu'un aime les vêtements et veut s'en parer qu'il le fasse pour lui-même sans en encombrer les autres ! Hormis certains théologiens dont nous n'apprécions guère les élucubrations par trop abstraites, nous ne sommes en guerre contre personne !


En relisant les Evangiles et en considérant Ièshoua' comme un simple humain, on en découvre que mieux la profondeur de ses gestes et paroles. Par exemple sa rencontre avec la Samaritaine. Est-ce parce qu'il est Dieu incarné qu'il connaît d'avance le drame intime de cette femme rencontrée, ou bien est-ce parce que son regard est un regard d'amour, qui comprend l'autre sans que celui-ci ait besoin de s'exprimer ? Un regard insistant, à la fois tendre et exigeant, avide de vérité pour que l'autre avance vers Dieu.

 

messages du 14 avril 2011 au forum des unitariens francophones, lien

 

« Paul marque toujours une différence entre Dieu et Jésus (comme dans d'autres épîtres il évoque "le Dieu de Jésus-Christ", ou "Dieu qui a ressuscité Jésus-Christ" » (Laurens Trobat, protestant libéral et unitarien, Pau)
« Il s'agit d'un hymne christique que Paul reprend dans son épître ; donc une littérature populaire qui déjà héroïse / divinise Jésus avec un langage poétique et fleuri ! Paul, quant à lui, fait toujours la distinction entre IHVH / El / Elohim d'une part et Notre seigneur / adôn Jésus, d'autre part » (Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien, Bordeaux).

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