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19 août 2009 3 19 /08 /août /2009 15:14

suite et fin du texte de Louis Cornu sur Le Fils de l'homme

les textes

Mc 14, 10-25 ; Luc 22, 21-23 ; Jn 13, 21-26


le déroulement des faits

Pendant qu’ils sont à table (apparemment, au début du repas), Jésus fait une annonce : l’un de vous qui êtes en ce moment à table avec moi, me livrera. Cette information attriste et intrigue les assistants. Au cours de ce repas, Jésus fait aussi un geste très fort : l’institution de la " Sainte Cène ", l’Eucharistie. Selon Marc, ce geste serait situé après l’annonce de la " trahison ", selon Luc, avant. Le plus sage est d’admettre que l’annonce de la trahison est première … que le geste eucharistique vient ensuite, en interaction avec les effets d’annonce …

Jean précise que "le disciple bien aimé" et Pierre ont su assez vite qui serait le traître, Judas, lorsque Jésus lui offrit une bouchée de pain trempé. Jean pense que c’est en recevant ce pain que Judas fut investi par Satan et décida de trahir, mais Marc précise que, la veille déjà, il avait dans ce but pris contact avec les Grands-Prêtres. Jean paraît donc estimer que, jusqu’à cet instant, Judas n’avait pas encore pris de décision irrévocable.


Pour finir, Judas reçoit de Jésus l’ordre d’agir vite et sort dans la nuit.


analyse


Quand Judas reçoit de Jésus la directive : " Ce que tu fais, fais le vite ", les autres disciples ne pensent pas à la " trahison " annoncée, alors même que deux d’entre eux, Pierre et le disciple bien aimé, savent que c’est Judas qui assumera cette action. Normalement ne devraient-ils pas savoir aussi que la trahison aurait lieu ce soir même ? On voit bien Jésus n’a pas été aussi explicite car, de toute évidence, leur comportement et leurs réflexions, au moment de la sortie de Judas, ne trahissent aucune appréhension d’un drame imminent pourtant annoncé : ils supposent que Judas, tout simplement, vient de se voir confier une mission (caritative ?) convenue au préalable.

Judas sort donc dans la nuit et Jésus laisse filer le temps. Il sait pertinemment que ce dernier va au rendez-vous fixé avec le chef de la police du Temple pour le guider ensuite au jardin de Gethsémani. Judas, de son côté, est certain que Jésus y sera.
Gethsémani est un rendez-vous (lieu et heure assumés par Jésus, fixés par Jésus lui-même, d’accord avec Judas qui en a proposé la possibilité au Grand-Prêtre, lequel a accepté de lui faire confiance. De fait le moment venu, Jésus s’y rend, sachant très bien ce qui lui arrivera.


Il y a manifestement connivence parfaite entre Jésus et Judas. En effet, si, au contraire, il s’agissait d’une véritable trahison, projet pernicieux, dont Jésus aurait été informé à l’insu du traite, il pourrait, après la sortie de Judas, disparaître dans la nuit et s’enfuir avec ses amis … comme il l’a déjà fait plusieurs fois devant un péril mortel, et particulièrement au début de l’année, lors de la fête d’Hanouka (Jn 10, 39-40) et encore, quelques temps plus tard (Jn 11, 54) Judas se fût alors trouvé dans la situation périlleuse du comploteur démasqué, trompant la confiance du Grand-Prêtre.


En fait, Jésus va se rendre à Gethsémani où il sait que, grâce à Judas, il sera arrêté. Cette arrestation, c’est son objectif et Judas est en mission pour cela.


plausibilité


Comment expliquer cette connivence ? On pourrait supposer que l’initiative fût de Judas et que Jésus, informé par un tiers (Nicodème ?) ait décidé de se rallier et d’en faciliter la réalisation. Encore faudrait-il que Judas n’ait eu aucun doute sur ce point … ce qui implique concertation entre eux. Il est beaucoup plus vraisemblable que l’initiative fût de Jésus lui-même et que Judas ne fût que l’homme de confiance de sa mise en œuvre et de sa réussite … dans le cadre d’une concertation secrète entre eux deux seuls, le mercredi (5 avril) au plus tard.


indices


Nos évangiles ne manquent pas d’indices en faveur de cette possibilité. Jésus a échappé à une lapidation lors de la fête de Hanouka (Dédicace) trois mois plus tôt (fin décembre 29 ou début janvier 30). Il s’est enfui de Jérusalem (Jn 10, 39-40), mais il y est revenu un peu plus tard pour Lazare, prenant ainsi un risque certain. Cette fois, il a sans doute été condamné à mort par contumace … en tout cas la décision de le faire mourir a été prise après délibération du sanhédrin (
Jn 11,53) et des poursuites avaient été lancées contre lui (Jn 11, 57) : " Les Grands-Prêtres et les pharisiens (le Sanhédrin) avaient donné ordre : si quelqu’un savait où il était, qu’il l’indique pour qu’on l’arrête ").


Lui, il s’était enfui du côté d’Ephraïm (Jn 11, 54), mais il avait fait savoir qu’il reviendrait pour la fête de Pessah et les pèlerins se demandaient, en montant à Jérusalem pour cette fête, s’il aurait vraiment l’audace de venir affronter ses adversaires, qui avaient décidé sa mort (Jn 11, 56).


Eh bien, en toute connaissance de cause, Jésus était venu, faisant preuve d’une extraordinaire détermination … alors même qu’apparemment rien ne l’y obligeait. Assumant le destin du "Fils d’Homme" (Dan 7, 13-27) conformément à la prophétie (Dan 9, 24-25) dont le délai arrivait à échéance … et celui du Bon Berger qui donne sa vie pour son troupeau, en vue d’une " nouvelle alliance " (Zac 13, 7-9), Jésus avait décidé que l’acte final se déroulerait devant " tout Israël " rassemblé pour la Pâque fixée au 8 avril cette année-là. Son heure était venue.


une échéance prophétique


Le triomphe du "Fils de l’homme", inaugurant le " Royaume de Dieu " (
Dan 7, 13) avait été prophétisé par Daniel à l’issue d’un délai précis – 490 ans (Dan 9, 24) prenant origine à partir d’un évènement qui, lui, pouvait donner lieu à d’éventuelles spéculations : " le surgissement d’une parole en vue de la reconstruction de Jérusalem " (Dan 9, 25). A l’époque de Jésus, la seule possibilité encore ouverte était de se référer à l’ordre de mission remis au prêtre-scribe Esdras par le roi Artaxerxès en la septième année de son règne (Esd 7, 7). A l’époque de Jésus, on considérait qu’il s’agissait d’Artaxerxès I (- 465 - 424). La septième année de son règne correspondait à - 458 ou - 459.


Sur cette base, le délai eschatologique de Daniel - 490 ans conduisait approximativement aux années 30-31 de notre ère. Faisant confiance à ce prophète – le prophète du Fils de l’homme – (c’était le cas de Jean Baptiste et de Jésus) on s’attendait naturellement à voir se produire en Palestine, sous Pilate (
26-36) des évènements conformes à ces prédictions (Dan 9, 26-27) : destruction de Jérusalem et surtout du Temple, au cours d’une courte période de guerres et de dévastations. Tout naturellement aussi, on était certain de voir le Fils de l’Homme mettre fin à ces épreuves en inaugurant le Royaume de Dieu.


la dernière semaine


L’heure était donc venue : Jésus ne pouvait plus attendre. Allaient se produire des évènements tragiques dont il souffrirait lui-même, en "Bon Berger sacrifié", mais dont il sortirait "glorifié" (
Jn 13, 31-32 et 17,1) en "Fils de l’Homme". Ces évènements, nécessairement, comportaient une guerre contre Rome, que les nationalistes juifs (zélotes) ne pouvaient manquer de provoquer en se soulevant contre l’occupant étranger.


C’est dans cette certitude que Jésus était arrivé avec ses disciples à Jéricho d’où, prenant la route de Jérusalem pour une ultime étape, le dimanche 2 avril, il avait clairement annoncé : " Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’Homme va être livré aux Grands-Prêtres et aux scribes. Ils le condamneront à mort. Ils le livreront aux païens. Ils se moqueront de lui ; ils cracheront sur lui, le fouetteront et le feront mourir … " (Marc 10, 32-34).


Le scénario qu’il venait de décrire était désormais entré dans ses objectifs précis, dont l’issue certaine était sa glorification (Jn 13, 31-32 et 17, 1) car il avait ajouté : " et, après trois jours, il s’élèvera " (Marc, 10, 34).


Normalement, son entrée royale à Jérusalem et dans le Temple, en fin d’après-midi de ce même 2 avril, aurait du provoquer les troubles prévus par Daniel : enthousiasme populaire, répression romaine, arrestation du roi d’Israël venu pourtant pacifiquement sur un ânon, selon Zac 9, 9. Rien !


Le lendemain, lundi, chassant les marchands du Temple, en référence à
Zac 14, 21 : " Il n’y aura plus de marchands dans la Maison du Seigneur le tout-puissant, en ce jour-là " (le jour de l’instauration définitive du Royaume de Dieu), Jésus avait posé un acte hautement subversif qui confirmait son initiative de la veille. Encore Rien !


Le mardi, il avait, dans l’enceinte du Temple, polémiqué avec tous ses adversaires, de façon extrêmement provocante. Toujours Rien ! Ce même mardi, le soir venu, sur le mont des Oliviers, il avait réaffirmé aux Douze ses certitudes (Marc 13). Il n’en demeurait pas moins qu’il devait faire face à une situation imprévue : on ne voulait pas l’arrêter pour l’exécuter " pendant les fêtes, afin qu’il n’y ait pas de tumulte dans le peuple " (Marc 14, 2). Ses adversaires avaient toujours la volonté de la supprimer, mais par ruse et surtout après les fêtes (Mc 14, 1) lorsque la foule des pèlerins aurait quitté Jérusalem, ce qui ne manquerait pas de se produire dans une dizaine de jours, une semaine après Pâque. S’ils y parvenaient, Jésus risquait tout simplement de connaître le sort obscur de Jean-Baptiste, en 28 : une exécution discrète et c’est justement ce qui n’entrait pas dans ses objectifs.


Puisque ses ennemis avaient décidé de temporiser, c’était à lui de leur forcer la main sans attendre. Ils ne voulaient pas procéder à une arrestation publique, de jour, par crainte de provoquer un mouvement populaire aux conséquences dramatiques (
voir Jn 11, 48). Il fallait donc rapidement leur offrir la possibilité d’une arrestation discrète, de nuit. C’est exactement ce qui allait se passer le jeudi soir … après que Judas eut pris contact avec le Grand-Prêtre dès le mercredi (Mc 14, 10). Ce jour là, avaient commencé, par l’intermédiaire de Judas, des tractations dont le résultat allait parfaitement servir le projet de Jésus.


Pour inspirer confiance à son interlocuteur, Judas avait joué le rôle du traître vénal : Jésus était au courant de ce détail. En était-il le concepteur ? Etait-ce Judas qui l’avait imaginé ? Le plus simple est d’admettre, entre Jésus et Judas, pendant la nuit du mardi au mercredi, une concertation très secrète, au cours de laquelle auront été étudiées plusieurs éventualités de déroulement pour une négociation en face au Grand-Prêtre. Judas aurait alors fait preuve de maîtrise, de perspicacité et d’esprit d’initiative. De son habileté dépendait une décision du Grand-Prêtre, qui pourrait conduire rapidement au dénouement que Jésus avait annoncé et auquel il tenait absolument pendant les Fêtes.


psautier de Copenhague, 1175-1200, le baiser de Judas

Dans cette affaire, pour tous les protagonistes et singulièrement pour Jésus et Judas, le secret était indispensable. Qu’il fut percé, tout risquait d’échouer. Jésus n’avait donc informé ses amis qu’au dernier moment, au début du repas du jeudi soir … et encore ne leur avait-il pas tout dit : il ne leur avait certainement pas révélé le moment (le jour) de la "trahison" puisqu’ils ne comprirent pas la portée de la sortie de Judas " Ce que tu fais, fais-le vite ".


Au cours de ce jeudi, 6 avril 30, d’autres transactions avaient eu lieu entre les ennemis de Jésus, les Grands-Prêtres, le sanhédrin, Pilate. C’est ce que met en évidence le déroulement de l’arrestation au milieu de la nuit.


Pilate avait appris du Grand-Prêtre que, dès le vendredi matin, il aurait à juger un "nazôréen" subversif, arrêté au cours de la nuit précédente. Cet homme était dangereux parce que sa prétention au trône d’Israël stimulait un nationalisme populaire juif très anti-romain. Le Grand-Prêtre tenait à ce que la police du Temple procédât elle-même à l’arrestation de l’individu, mais Pilate acceptait de lui prêter main forte avec la participation d’un détachement de la " cohorte " (Jn 18, 3). Il acceptait également de laisser pendant quelques heures l’homme – déjà condamné pour motif religieux par le sanhédrin (Jn 11-53) – à la disposition du Grand-Prêtre qui désirait l’interroger personnellement pour le confondre. Il fut aussi convenu entre eux que l’affaire (procès romain, exécution) serait conduite très rapidement. Tout devait être terminé avant la fête de Pâque qui débutait dès vendredi soir à la tombée de la nuit. Pilate prendrait donc livraison de l’homme le vendredi matin, dès le lever du jour (Jn 18, 28 ; Mc 15, 1).


De tout ce programme, Jésus ne connaissait avec précision que le premier acte, l’arrestation à Gethsémani. Il savait donc qu’il ne pourrait célébrer la Pâque avec ses amis le vendredi soir comme le voulait la coutume juive. Il avait donc décidé de les réunir plus tôt, le jeudi soir, pour un repas d’adieu pré-pascal au cours duquel il voulait célébrer le sacrifice du Bon Berger (Zac 13, 7-8 ; Mc 14, 27) dont le sang était celui de " la Nouvelle Alliance " (Lc 22, 20). Il profiterait de cet ultime repas avec ses proches (Mc 14, 25) pour leur donner des informations (le strict indispensable, seulement) sur l’arrestation nocturne dont ils allaient être témoins … évènement dont seuls lui et Judas connaissaient tout, pour l’avoir préparé ensemble.


Du déroulement ainsi enclenché Jésus (et Judas avec lui) attendait sa glorification rapide en Fils de l’homme, recueillant la royauté, la puissance et la gloire (Dan 7, 13-27). Malheureusement pour Judas, cette glorification du Fils de l’homme ne fut pas strictement conforme à la prophétie et elle ne fut pas immédiate. Elle ne devint évidente que plus tard, par les apparitions de Jésus vivant. En attendant cette évidence, Judas restait prisonnier du rôle de traître qu’il avait si bien joué … rôle de composition dont seul Jésus, désormais mort, connaissait le secret.

la mort de Judas


Il allait, lui, Judas, payer de sa vie ce terrible secret.


Nous avons deux versions contradictoires de sa fin : celle de Mt 27, 3-10 - un suicide dès le vendredi soir – et celle de Luc, dans Actes 2, 18-19, une mort brutale (accidentelle ?) plus tard (il avait eu le temps d’acheter un champ qu’à l’évidence il pensait exploiter). Deux choses sont certaines cependant : il a été rejeté et honni à cause du rôle qu’il avait accepté de jouer … et il n’est pas décédé de mort naturelle.


réhabilitation gnostique


Il ne fallut pourtant pas très longtemps pour que ce mépris unanime fût ébranlé. Certains chrétiens, certes très minoritaires, s’avisèrent plus tard que le rôle de Judas était indispensable à l’économie du salut ; qu’il avait fait partie du plan de Dieu ; en somme que Judas avait été nécessaire ; que sa trahison avait été voulue par Dieu. Ces chrétiens – gnostiques – étiquetés caïnites, avaient rédigé un Evangile de Judas fustigé par Irénée de Lyon (130-202) dans son ouvrage Adversus haeréses, au cours de la deuxième moitié du IIème siècle. Il ne paraît pas cependant qu’ils soient allés jusqu’à nier la trahison et à faire de Jésus l’instigateur de l’affaire.

C’est par l’analyse de nos seuls évangiles canoniques que l’on peut parvenir à cette conclusion qui, d’ailleurs, pour l’historien, n’est que l’hypothèse la plus cohérente avec les faits, les gestes et les principales paroles de Jésus.

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